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  • Le commissariat du quartier du Gros-Caillou

Toujours en ronde de nuit sur le septième arrondissement, mais cette nuit-là, fin juillet 65 ou 66, je suis seul avec le chauffeur. Je vais chercher mon équipier habituel au poste du Gros-Caillou, rue Amélie. L’équipage est incomplet, mais le trajet court, la nuit tranquille, j’aurai le temps de reconstituer mon équipe. Le risque est limité, du moins je le pense.

Le hasard, grand maître des faits divers, en décidera autrement. Des travaux de voie publique sont en cours sur le quai d’orsay, près de la rue Fabert et du pont Alexandre iii. en passant à côté des barraques de chantier, deux individus ayant flairé la voiture pourtant “banalisée”, prennent la fuite. Dans un tel cas, la réaction incontrôlée du flic est semblable à celle du chat voyant courir une souris, c’est la poursuite.

Ils sont deux, je suis seul, le chauffeur ne pouvant abandonner sa voiture tente de garder le contact visuel et demande des renforts. Un individu se dirige vers le pont Alexandre iii, l’autre, plus près de moi, vers le port des péniches du Gros-Caillou. instinctivement, c’est lui que je choisis. Plus rapide et avantagé par son avance, il arrive le premier au parapet du pont.

A partir de là, plus d’issue, il est à moi… Du haut du mur aux matérieux de construction entreposés en contre-bas, il y a bien cinq ou six mètres que mon fuyard n’hésite pas à sauter pour se recevoir sur un tas de sable. Je n’ai pas cette même audace. J’abandonne celui-là et me tourne vers l’autre qui a déjà presque terminé sa traversée du pont, vers le cours Albert 1er. Je suis rejoins par mon chauffeur et la chasse, motorisée cette fois, se poursuit. sur le huitième arrondissement, nous retrouvons et embarquons notre lascar, aussi essoufflé que moi, et marchant décontracté pour récupérer. retour sur le septième, cette fois renforcés par la police-secours. oui, mais qu’avaient-ils fait ? Arrêté pour fuite, c’est un peu léger et ça n’a d’ailleurs aucune qualification pénale. D’autant que l’homme nous la joue classique : « J’ai vu votre voiture, j’ai eu peur, je me suis sauvé, je prenais tranquillement le frais… etc., etc. », et qu’évidemment personne ne croit. il est placé en sûreté dans le car pendant que nous recherchons des indices à partir du lieu de rencontre et… nous les trouvons rue Fabert, tout près des barraques.

Un riverain avait eu l’imprudence de remplir sa voiture de bagages, de matériel de camping pour avancer son départ en vacances le lendemain matin premier août, de très bonne heure. Les portières fracturées grandes ouvertes, divers objets et vêtements éparpillés sur le sol, bref, il n’y avait plus de doute, nous avions arrêté un roulottier.

La même aventure était déjà arrivée à un gendarme du Plessis-robinson quelques années auparavant, alors que jétais brigadier à sceaux. Mais là, nous n’avions arrêté personne.

Qu’était devenu celui que j’avais abandonné sur le tas de sable ? presque sous le pont. Les effectifs du car n’avaient remarqué personne dans le port fluvial désert à cette heure nocturne. Avait-il réussi à s’enfuir avant l’arrivée des renforts ou, comme nous avions constaté que c’était possible, s’était-il réfugié dans la charpente métallique sous le pont ? ou, pourquoi pas, avait-il traversé la seine par cette voie pour se
retrouver sale, mais libre, sur l’autre rive du fleuve ?

Plus tard, beaucoup plus tard, retraité et m’étant essayé à l’écriture d’un roman (olivia), j’attribuai cette opportunité au héros de mon histoire, poursuivi par une patrouille allemande sous l’occupation.

Notre prisonnier et les pièces à conviction furent déposés, selon la règle au commissariat du quartier du Gros-Caillou compétent territorialement, situé rue Amélie, petite rue entre les rues saint-Dominique et de Grenelle derrière l’église saint-Pierre-du-Gros-Caillou. Ce commissariat de quartier, aujourd’hui regroupé à l’hôtel de police du septième, rue Fabert, vaut, à lui seul, un petit détour en rapport avec les gaietés administratives.

La rue, très courte et étroite n’en est que plus bruyante. Presque en face du poste de police, ouvert toute la nuit, il y avait une boîte de nuit antillaise très sympathique mais aussi très génante pour les riverains qui auraient bien voulu dormir, surtout l’été où il aurait été si agréable d’ouvrir les fenêtres. Les rythmes endiablés de la musique, les chants, les rires des danseurs étaient les cauchemars des habitants. La chanson de rika Zaraï : “Ce soir, nous allons danser, sans chemise et sans pantalon”, reprise en choeur par cent voix envahissait toute la rue à chaque ouverture de la porte d’entrée de la boîte. L’intervention des policiers voisins ne faisait qu’ajouter au vacarme. D’ailleurs, ceux-ci n’étaient pas exempts de ce genre de nuisance. Je me souviens d’un vieux gradé alcoolique qui chantait à tue-tête la chanson de Marcel
Amont, le tube de l’époque : “Un Mexicain basané… est étendu sur le soooool”… on l’entendait dès l’entrée dans la rue. il ne resta plus longtemps après ma demande de son changement de poste. J’ai su plus tard qu’il avait fini par être dégradé et mis à la retraite d’office en raison de sa persistance dans ses fautes professionnelles commises sous l’empire de l’alcool.

Les déplacements nocturnes continuels des services de police, fermetures de portières des véhicules sans précaution, les conversations, les appels, les fonctionnaires des services techniques remorquant les engins consignés pour affaires judiciaires, toutes ces manoeuvres exécutées par des gens au travail oubliant que d’autres dorment étaient la gaîté du quartier.

Naturellement, il y avait des plaintes. J’avais donné et redonné des consignes de silence à mes troupes, notamment de maintenir les portières à demi-fermées et de ne les claquer qu’après avoir tourné le coin de la rue : « Mais chef, c’est pareil, ça réveillera les habitants de la rue de Grenelle – d’accord, mais ceux-là ne sauront pas forcément que ce sont les flics qui les réveillent ! »

Mais pour les fonctionnaires des autres services, que faire ? ce n’était jamais le même personnel.

Le déménagement du commissariat à l’hôtel de police a dû bien soulager les habitants, mais je serais curieux de savoir ce qu’en pensent ceux de la rue Fabert !

Paul Préboist habitait la rue Amélie. souvent, la nuit, prenant le frais au cours de sa promenade nocturne, il venait raconter ses histoires désopilantes à ses voisins les flics.

Pour en terminer avec le commissariat du Gros-Caillou, je me souviens qu’il était commandé par un homme que tout le monde détestait en raison de son autoritarisme méprisant. Pourtant, ce petit péte-sec manquait singulièrement de formation judiciaire. officier réformé de l’armée pour je ne sais quelle raison, il avait trouvé le moyen de se reclasser à la Préfecture de Police, au titre des “emplois réservés”. il y avait donc lieu de vérifier le bien-fondé de ses ordres. Heureusement pour moi, son service finissait vers 19 h, le mien commençait à 23 h 30. Nous n’avons jamais eu l’occasion de nous voir. Mais il y avait un roulement de service de nuit pour les commissaires qui s’effectuaient à leur domicile, ils ne se déplaçaient que si leur présence était nécessaire.

Une nuit, je devais donc avoir affaire avec lui. Le chef de poste du Caillou avait demandé, au poste central, l’envoi de la police-secours pour expulser une locataire d’une chambre meublée d’un hôtel du quartier. L’ordre venait, bien évidemment, de notre petit dictateur et comme de juste était parfaitement illégal. Jusqu’à décision d’un juge, la personne en question était chez elle où la police ne peut pénétrer sans
motif légitime et, d’autre part, quel que soit ce motif, elle ne peut agir chez un particulier qu’aux heures légales, c’est-à-dire entre six et dix-huit heures, sauf catastrophe, incendie, par exemple. C’était donc ordonner à mes hommes de commettre le délit de “violation de domicile”.

Je lui téléphonai pour m’assurer qu’il avait bien donné cette consigne. réveillé dans son premier sommeil, je ne m’attendis pas à des amabilités, je fus servi.

« J’ai donné des ordres, j’entends qu’ils soient exécutés. Vous me réveillez pour rien, j’en rendrai compte à votre patron, etc. – J’insiste en attirant son attention sur les suites possibles de l’affaire – Le procureur pourrait… – Le procureur et pourquoi pas Napoléon, trouve-t-il astucieux d’ironiser – impossible, patron, Napoléon dort aux invalides depuis près de 150 ans. » il raccroche rageusement.

Connaissant la réputation du donneur d’ordres, j’assurai mes arrières en avisant le commissaire de permanence nocturne à l’etat-Major. Ce dernier, que j’avais connu à mon stage d’officier où il donnait des conférences de droit pénal, tombait
bien. il eut la réaction que j’attendais, rigola un bon coup et donna l’ordre contraire. Même sans son appui, j’aurais pris cette décision. Deux assurances valent mieux qu’une !

J’appris plus tard, par mes collègues des brigades de jour que l’hôtelier était un ami personnel qui voulait se débarrasser d’une cliente insolvable et que mon indiscipline avait provoqué une homérique engueulade entre les deux commissaires de formation différente et en perpétuel conflit. Ce que j’ignorais.

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